Les moyens de paiement : Le chèque
Le chèque est un titre de paiement émis par le débiteur sur la banque où il a ouvert un compte. Historiquement le chèque a joué un rôle moteur dans le développement des techniques bancaires. Comme l’émission de billets de banques était réservée – de fait puis de droit – aux banques centrales, les banques commerciales ont développé les activités de dépôt et les services de paiement par chèque. Les pays anglo-saxons ont une longue pratique du chèque. Dans les pays du sud de l’Europe de tradition catholique, le chèque a longtemps été suspect.
Il était réservé aux paiements interbancaires et aux paiements commerciaux de gros montants. A la suite de la loi de 1917 qui autorisait le paiement de l’État et des collectivités locales par chèque, un ministre des Finances français (Chéron) répondait à un journaliste : « Je n’ai pas de compte bancaire : je suis un homme honnête, moi ». Sous entendu : « je n’ai rien à cacher ». Pendant la Première Guerre mondiale, les gouvernements
- Français et allemand – favorisent l’utilisation du chèque pour économiser les espèces. Considéré alors non comme un moyen de paiement mais comme un instrument de crédit (« crédit circulant »), le chèque n’avait, croyait-on, pas d’influence sur le niveau des prix et le taux de change. Après la deuxième guerre mondiale, la bancarisation de l’économie participe du programme de modernisation. La législation devient très restrictive en ce qui concerne les paiements en espèces (en souvenir du marché noir ?).
Techniquement, le chèque est faiblement automatisable. L’insertion d’une bande magnétique préenregistrant les informations disponibles (le n° du compte du client et le code IBAN de la banque) et l’utilisation de lecteurs optiques ne peuvent concurrencer les instruments de paiement incorporant les technologies les plus récentes. En outre le chèque est un moyen de paiement vulnérable : perte, vol2, contrefaçon, falsification, provision insuffisante. L’émission de « chèques certifiés » (que la banque s’engage à honorer quelle que soit la provision) peut y remédier. Mais la procédure est lourde et longue. La législation allemande interdit l’émis¬sion de chèques certifiés (en dehors des chèques de la Bundesbank utilisés pour les règlements interbancaires).
Commercialement, le chèque bénéficie de la simplicité d’émission et des habitudes acquises. C’est un moyen de paiement universel (utilisable pour tous les types de paiement) mais coûteux. Bien que les banques ne soient pas très disertes sur un sujet aussi sensible, on estime que les coûts de traitement unitaire vont de 0,45 à 0,80 euro. Le montant unitaire moyen est faible (de l’ordre de 15 euros). En 2002 les banques françaises ont échangé 3,6 milliards de chèques. Sachant que l’on estime à 20 % environ (30 % aux Etats-Unis) le nombre de chèques qui relèvent d’un règlement interne (intra-bancaire), c’est donc un volume de quelque 4,6 milliards de chèques qui ont été émis. Le coût de traitement des chèques représente un total de l’ordre de 2 à 3,8 milliards d’euros. C’est pourquoi le traitement des chèques est le domaine par excellence de l’externalisation et de la sous-traitance. Les banques françaises commencent à prélever des frais (4 centimes par formule à la charge de la banque remettante). Les groupes de distribution les plus touchés (comme Carrefour qui reçoit 136 millions de chèques par an) réclament en contrepartie la rémunération des comptes à vue.
Les réseaux de paiement Giro et les chèques postaux
Le développement de banques postales et de réseaux « Giro » au XIXe siècle avait pour objet de remédier à la concentration géographique et sociale des banques de dépôt. Les réseaux bancaires étaient développés dans les zones urbaines, ils s’adressaient à une clientèle aisée et aux classes moyennes. Les bureaux de postes couvraient tout le territoire et toutes les classes. Les réseaux postaux se sont développés à la même époque que les réseaux de chemins de fer et de télégraphe qui ont démocratisé les transports, baissé les coûts de transmission, désenclavé des régions excentrées. Autant les Caisses d’épargne furent précoces (il fallait inculquer le sens de l’épargne aux classes laborieuses), autant les services de paiements de petits montants furent tardifs (il ne fallait pas encourager l’esprit de dépense et de jouissance).
L’Empire austro-hongrois avait montré la voie en 1883 (l’Empereur François Joseph avait symboliquement ouvert un compte) suivie par le Japon et la Suisse en 1906, l’Allemagne en 1908, le Luxembourg en 1911, la Belgique en 1913, la Hollande et la France en 1918. Reprenant une vieille expérience (la Banque d’Amsterdam de 1609), la ville d’Amsterdam avait devancé son gouvernement en créant un Giro Municipal en pleine guerre (1917) qui connaît encore un grand succès. Les anciennes colonies conservèrent les systèmes de Giro ou de chèques postaux après l’indépendance. Bien que les banques postales et les banques commerciales ne soient pas concurrentes, c’est dans les pays où le système bancaire était le plus développé et le lobby bancaire le plus puissant que la Banque Postale a le plus tardé. Ce n’est qu’en 1963 que le Parlement anglais a créé le National Giro. Le projet de banque postale ren-contre la même résistance de la part des banques françaises à réseaux.
En Allemagne, il existe des systèmes de GIRO de la Deutsche Postbank AG mais aussi des caisses d’épargne (Deutsche Girozentrale – Deutsche Kommunalbank) et des banques coopératives (Deutscher Genossens- chafts-bank AG). Les systèmes GIRO n’échappent pas au mouvement de centralisation et de concentration. La nécessaire interopérabilité des infrastructures de paiement ont obligé les réseaux GIRO à établir des passerelles avec le système de paiement de la Bundesbank. La liquidation des soldes de compensation entre les différents établissements et les différents réseaux est ainsi assurée par la banque centrale.
Le système français des chèques postaux utilise le réseau des bureaux de Poste.
A partir d’un compte chèque postal, on peut faire un paiement vers un autre compte chèque postal ou un compte bancaire. Les Postes émettent des chèques et des carnets de chèques identiques aux chèques bancaires, mais elles bénéficient d’une beaucoup plus grande assise territoriale. Avec 17 000 bureaux de postes répartis dans toute la France, la banque postale bénéficie d’un réseau supérieur au total cumulé des réseaux des quatre premières banques françaises.
Les mandats postaux sont encore plus simples : il suffit de se rendre à un bureau de poste pour adresser un paiement à n’importe qui. On peut payer en espèces. Outre la commodité de son utilisation, le mandat a l’avantage d’être anonyme. Paradoxalement, le mandat auquel s’attache une image vieillotte semble promis à un grand avenir. Le système du man¬dat a été repris par de nombreuses sociétés de transport de fonds (DHL, Western Union, United Parcel) ou d’agence de tourisme (Thomas Cook) qui ont développé et commercialisé des services de paiement privés à dis¬tance.
La dématérialisation des chèques
Le transfert (truncation) des informations du chèque aux « images- chèques », du support papier au support électronique permet d’assurer la continuité technologique du traitement. En France, le système EIC (Echange d’Images-Chèques) utilise les techniques d’échange de données numérisées. Les ordinateurs échangent des fichiers au lieu d’échanger des chèques-papier. Le système d’image-chèques permet de préenregistrer les informations disponibles et de ne transmettre que les informations spéci¬fiques à chaque transaction ou même à chaque partie de la transaction. La technique d’EIC réduit les coûts de traitement et le niveau de risque. La dématérialisation permet également de sous-traiter le traitement des chè¬ques à des sociétés de services informatiques spécialisées qui vendent leurs services à plusieurs banques et bénéficient ainsi d’économies d’échelle. Le Crédit Lyonnais a confié le traitement de ses chèques à Atos. D’autres banques utilisent Experian ou Sagig.
Le nouveau système d’Echange d’Image-Chèque a permis des gains de productivité et une réduction des délais d’encaissement. Mais ceci s’est fait aux dépens des normes de sécurité. Dans le nouveau système, 98 % des chèques encaissés ne sont pas contrôlés. Seuls 2 % des chèques présentés à l’encaissement (chèques de plus de 5 000 euros) sur les 4 milliards de chèques échangés chaque année font l’objet d’une vérification. Les chèques « circulants » sont adressés pour traitement au CEPC (Centre d’échange physique des chèques). Les autres sont adressés au CEIC (Centre d’échange d’image-chèque) qui comprend 11 banques participantes « directes » et 2 200 banques « indirectes » accédant au système d’EIC par l’intermédiaire d’une banque directe.
L’original du chèque est conservé par la banque remettante (la banque du bénéficiaire), alors que la banque tirée (celle de l’émetteur) ne dispose que d’une copie du fichier numérique. Le chèque étant archivé par la banque remettante, la banque tirée ne peut procéder au rapprochement avec l’original avant l’encaissement (comme il est requis par la loi : authentification de la signature, vérification du montant de l’ordre, de la date, détection des falsifications). Après avoir été transférés sur microfilms, les chèques sont conservés deux mois avant d’être détruits, rendant dès lors impossible l’examen de l’original en cas de contestation. Les recherches coûtent cher (0,04 euro par chèque dans le système EIC).
Bien qu’il soit un instrument de paiement simple, universel et bien assimilé, le chèque est une impasse technologique et commerciale. Les banques sont enfermées dans un paradoxe technologique qui les oblige à consacrer les deux tiers des frais d’investissement consacrés aux moyens de paiement à la survivance d’un instrument de paiement condamné. La survie sous transfusion du chèque ne peut que retarder l’émergence des nouveaux moyens de paiement électroniques.
Tout autant que les banques, les professionnels sont pénalisés : ils ont accepté de contribuer à la modernisation de l’instrument en imprimant sur place les informations complémentaires : montant, date, bénéficiaire. L’encaissement à imprimante des grandes surfaces a permis de repousser les limites de l’automatisation.
Bien que le chèque soit un instrument techniquement dépassé, il reste profondément ancré dans les mœurs. A ce titre, il intéresse encore tous les grands remettants (les grandes surfaces) et les grands facturiers (EDF, France Télécom, Direction des Impôts, etc.). Cet acharnement thérapeutique qui prolonge le chèque se fait évidemment aux dépens des autres moyens de paiement techniquement et commercialement plus avancés comme les cartes, les porte-monnaie-élec- troniques, les télépaiements, les paiements en ligne et d’une façon générale tous les moyens de paiement qui se prêtent à la dématérialisation du support et au traitement informatisé des données.
Vidéo : Les moyens de paiement : Le chèque
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