Les systèmes de paiement : Le risque de liquidité
En cas de liquidity shortage, un certain nombre de mesures préventives permettent d’augmenter les sources de liquidité. En cas de crise déclarée, ces dispositions doivent être complétées par des mesures d’urgence convenues à l’avance avec la banque centrale source ultime de liquidité.
La gestion des risques
La principale mesure de prévention des risques de liquidité est de choisir comme actif de règlement la monnaie centrale i.e. les dépôts bancaires auprès de la banque centrale. Ainsi est évité le risque de crédit sur la banque de règlement. Dépositaire des comptes de clearing, la banque centrale est également la mieux placée pour exercer son rôle de prêteur de dernier recours en cas de crise ouverte. La gestion des risques comprend donc des mesures communes à tous les systèmes de paiement et des mesures spécifiques aux systèmes RTGS.
Les mesures communes
Les lignes de crédit bilatérales
Pour augmenter la liquidité disponible, la banque en difficulté peut tirer sur les lignes de crédit bilatérales ouvertes en sa faveur par les autres banques participantes. Si ces lignes sont confirmées, la banque bénéficiaire ne va les utiliser qu’en toute extrémité car les conditions sont plus élevées que celles du marché (élargissement des marges, commissions d’engagement, commissions d’utilisation).
Le pool de liquidité
Les banques sont généralement très réticentes à mettre en place un pool de liquidité : l’immobilisation des titres ou des dépôts affectés à ce pool est une procédure coûteuse (coût d’opportunité). Au coût d’immobilisation s’ajoute le coût de remplacement au cas où ces titres seraient utilisés. Pour éviter l’immobilisation des titres, des arbitrages au sein du portefeuille peuvent être autorisés à condition de respecter une certaine marge de sécurité (haircut). Au-delà d’une certaine fluctuation des cours, les banques doivent reconstituer le collatéral afin de respecter cette marge de sécurité (appels de marge).
Les facilités de crédit de la banque centrale
Ces facilités sont automatiques, gratuites et ouvertes à tous dès lors que les conditions sont remplies. Le mécanisme est rendu public afin que les banques participantes sachent exactement sur quoi elles peuvent compter. La documentation juridique est établie à l’avance (allocation de titres ou nantissement en blanc en faveur de la banque centrale) afin qu’en cas de besoin, la facilité de crédit puisse être mise en place sans retard. Les facilités de la banque centrale peuvent être aussi utilisées comme un instru¬ment de promotion de la place financière.
La constitution de collatéral
Les facilités de crédit sont collatéralisées par des titres éligibles bénéfi¬ciant d’une grande liquidité (obligations d’État, bons du Trésor, obligations des organismes internationaux et d’une façon générale tous les instruments de marché utilisés par la banque centrale dans sa politique d’open market). Un accord avec les organismes de conservation des titres permet le nantissement immédiat des titres (quand ce n’est pas la banque centrale elle-même dans ses fonctions de gestionnaire de la dette publique). Une marge de manœuvre ou haircuts de l’ordre de 10 % du montant de la facilité protège la banque centrale contre les variations de cours. Cette marge est revue régulièrement en fonction des engagements de la banque et de l’évolution des cours.
La présence de collatéral pré-positionné réduit le risque en augmentant la liquidité disponible, mais il génère aussi d’autres risques (risques légaux, opérationnels, de liquidité, de marché, de conservation). Le bénéficiaire doit s’assurer que la liquidation du collatéral ne se heurte à aucun obstacle d’ordre juridique (telle la loi sur les faillites bancaires). Dans les pays européens, le droit des créditeurs sur le collatéral a été renforcé conformément
à l’art. 9 de la Directive européenne sur la Finalité des règlements. Si les cours évoluent au-delà des haircuts, le montant du collatéral doit être revu (par des appels de marge). La liquidation du collatéral comporte un risque de marché si les cours ont subi une fluctuation au moment où la banque bénéficiaire tire sur le collatéral.
Le risque de liquidité joue dans les deux sens : si un opérateur doit vendre des titres dont l’acheteur est défaillant, il peut avoir des difficultés pour se procurer la contrepartie cash ; si un opérateur doit acheter des titres qui ne lui ont pas été livrés, il peut avoir des difficultés pour se procurer les titres aux mêmes conditions. Cette situation est d’autant plus vraisemblable que si l’un des participants est défaillant au point qu’il soit nécessaire de recourir au collatéral, c’est que l’ensemble du marché est perturbé.
Le collatéral comporte aussi un risque de conservation en cas de perte ou de vol du collatéral ou de faillite de l’organisme de conservation. Le contrat de collatéral doit également préciser si le bénéficiaire du collatéral est autorisé à le réutiliser pour s’en servir lui-même comme collatéral dans une autre transaction avec un tiers. Dans ce cas, le dépositaire du collatéral comme le bénéficiaire supporte un risque supplémentaire s’il s’avère difficile de récupérer les titres ainsi réutilisés.
Le partage des pertes résiduelles
Après avoir utilisé toutes les facilités disponibles, il peut néanmoins subsister des pertes qui n’ont pas été couvertes. Pour assurer la finalisation des paiements, les pertes résiduelles sont partagées entre les banques survivantes suivant une règle de distribution (loss sharing formula) arrêtée à l’avance. On utilise deux critères : d’une part, les engagements de chaque banque participante sur la banque défaillante au terme de la compensation et, d’autre part, les lignes bilatérales consenties par chaque banque en faveur de la banque défaillante. La répartition entre les deux critères obéit à un système de pondération convenu à l’avance par les banques participantes.
Les mesures spécifiques aux systèmes RTGS
Dans un système RTGS, chaque banque participante doit à tout moment disposer de la liquidité nécessaire. Le timing des ordres de paie¬ment est déterminant. La banque doit pouvoir compter sur des moyens de se procurer la liquidité additionnelle en cas de besoin.
La gestion des files d’attente
Les ordres de paiement qui ne peuvent être exécutés immédiatement faute de liquidité disponible sur les comptes de compensation sont mis en liste d’attente. Dès que la liquidité est reconstituée soit par l’émission d’ordres de paiement en faveur de la banque, soit sous forme d’injection de liquidité, les ordres en liste d’attente sont réincorporés et réglés dans la limite de la liquidité disponible. Normalement, la réincorporation des ordres se fait suivant le principe FIFO (first in first out) . dans l’ordre chronologique. L’inconvénient du système FIFO tient au timing des ordres : un ordre de gros montant peut bloquer toute une file d’ordres de petits montants qui pourraient être réglés immédiatement si l’ordre en question ne leur « bouchait pas le passage ». L’utilisation d’algorithmes permet d’optimiser la gestion des listes d’attentes en remodelant l’ordre de succession afin de faire passer les ordres de paiement compatibles avec la liquidité disponible à un instant donné (tout en respectant le principe FIFO). L’application des techniques d’optimisation des listes d’attente permet de synchroniser la présentation des ordres de paiement afin de limiter le recours (coûteux) à des sources extérieures de liquidité.
Les limites intraday
Le système de limites intraday ou caps permet de fixer un plafond d’engagement par banque sur une base bilatérale ou multilatérale. Les caps sont égaux au total des facilités de crédit disponibles auquel s’ajoute la provision initiale du compte de compensation (balances techniques). Quand le solde des ordres de paiement émis/reçus d’une banque atteint le cap, les nouveaux ordres sont mis en liste d’attente. Ils seront réintégrés dans le processus de paiement dès que la provision du compte sera reconstituée.
Les crédits intraday
Dans un système brut RTGS, cette disposition tend à prévenir les risques de blocage. Chaque banque participante attend que les autres émettent en sa faveur avant d’émettre ses propres ordres de paiement, afin de bénéficier de la liquidité des autres banques et de reporter sur celles-ci le coût de cette liquidité additionnelle. Les banques centrales mettent à la disposition des banques participantes des facilités de crédit intraday pour combler les gaps de liquidité. Ces facilités peuvent être de très gros montants même si elles sont généralement de très courte durée (le temps que la banque reconstitue la liquidité de son compte de compensation). Ces crédits sont dispensés sous forme de repos ou exceptionnellement de découverts (US Fed.). Le crédit doit être remboursé avant la fin de la séance de compensation. Exceptionnellement, les repos sont convertis en dépôts overnight à des taux pénalisants (alors que les repos intraday sont souvent gratuits). Pour inciter les banques à émettre les ordres de paie¬ment sans attendre, certains systèmes de paiement pratiquent des tarifs croissants avec le temps : plus la banque tarde à émettre les ordres de paie¬ment, plus le coût de transaction augmente (cf. Euro 1).
L’information des participants
Les banques participantes sont tenues informées en temps réel de leurs positions vis-à-vis du système de compensation. Ainsi sont-elles mieux à même de gérer leurs positions de trésorerie. Les opérateurs peuvent anticiper les mouvements de fonds, se refinancer à de meilleures conditions et faciliter le fonctionnement du système en approvisionnant leur compte du bon montant au bon moment. Mais l’information des participants peut être contreproductive : dans la gestion de sa position, le trésorier est tenté de tenir compte des ordres en instance de règlement stockés dans les listes d’attente. Or rien n’indique que ces ordres seront effectivement finalisés. Si la liste d’attente d’une banque s’allonge au fil des heures, c’est qu’elle se trouve dans une situation difficile. La transparence peut amener le trésorier à prendre des risques excessifs.
La gestion des crises
La crise de liquidité est redoutée dans la mesure où elle peut dégénérer en crise systémique. La gestion de la crise a pour objectif d’assurer la finalité des opérations par injection de liquidité additionnelle, puis de neutraliser la liquidité émise afin d’éviter une inflation des moyens de paiement sans rapport avec les besoins de l’économie.
Dans un système RTGS, toutes les opérations acceptées sont réglées immédiatement. Le système ne les aurait pas acceptées si le compte de clearing de la banque émettrice ne disposait pas de la liquidité suffisante. Tous les ordres qui ne sont pas réglés au terme du processus de compensation sont retournés à l’émetteur. La banque centrale intervient pour apporter la liquidité manquante.
Dans un système net si une banque participante n’est pas en mesure d’approvisionner son compte de clearing auprès de la banque centrale, plusieurs hypothèses sont envisageables. Normalement l’opérateur procède à une procédure d’unwinding. Il démonte la compensation, exclut de la compensation la banque défaillante et refait le calcul des soldes de compensation entre les seules banques survivantes. La situation qui résulte de cette nouvelle compensation est difficile à gérer car les banques participantes doivent équilibrer des positions de trésorerie très différentes de celles qui étaient originellement prévues. Les banques « longues » se retrouvent « courtes » et vice versa. En fin de journée, il n’y a plus de marché. Pourtant les fonds sont dans le système, mais leur distribution a changé.
La première méthode consiste à retarder le final cut-off time afin de donner aux banques participantes un délai supplémentaire pour équilibrer leurs positions au moyen d’opérations de prêts/emprunts entre banques participantes (donc entre un nombre limité de participants).
Si le report de la compensation finale se révèle insuffisant (les banques doivent se mettre d’accord sur les taux à un moment où il n’existe plus de marché, donc plus de cotations et plus de prix de référence), l’opérateur peut reporter la compensation au lendemain : la position de clôture devient la position d’ouverture du lendemain matin. Cette méthode revient à fusionner les deux jours de compensation. Les banques n’ont recours à cette procédure qu’en toute extrémité car elles ne disposent pas encore des fonds (elles perdent un jour de valeur) et elles ne peuvent pas créditer leurs clients sous « bonne valeur ». Les banques doivent payer des intérêts de retard alors qu’elles ne disposent pas des fonds. L’effet est désastreux pour la notoriété de la place (rappelons que les systèmes de paiement cash servent aussi aux règlements des opérations de change, des opérations sur titres, des opérations sur les produits dérivés, etc.).
La troisième méthode consiste à mettre en place à l’avance un système de partage des pertes résiduelles (loss sharing) entre les participants dont
l’objet est de fournir la liquidité manquante « même valeur » aux banques survivantes. En mutualisant les pertes, on assure la finalité des opérations « valeur jour » et on évite le déclenchement d’une crise systémique.
Le risque de marché
Faute de savoir la date, le montant et la durée de l’exposition, il n’existe pas d’instruments de couverture pour se garantir contre les fluctuations de taux ou de cours (y en aurait-il qu’ils seraient trop coûteux). A défaut de supprimer le risque de marché, on peut le réduire en accélérant les procé¬dures de recouvrement. La déclaration de défaillance, la mobilisation des garanties, la liquidation du collatéral doivent intervenir dans les meilleurs délais afin de limiter l’impact des variations de taux ou de cours. La géné¬ralisation de systèmes RTGS a permis de réduire le risque en resserrant les délais de paiement et de livraison (systèmes de livraison des titres en temps réel connectés aux systèmes cash RTGS).
Le risque de conservation
Les risques d’erreur, de fraudes, de pertes, de vol, etc. des titres déposés dans les organismes de conservation sont couverts par la solvabilité des dits organismes. Les opérations de prêts (de cash ou de titres) consentis par les organismes de conservation sont garanties par leurs fonds propres. Le risque est particulièrement élevé si l’organisme de conservation et de compensation des titres agit comme contrepartie centrale (il se substitue aux parties de la transaction). En cas de défaillance (incapacité de livrer les titres ou de payer le cash), l’organisme de conservation doit aller sur le marché pour se procurer les titres ou le cash à des conditions différentes. Les titres déposés comme collatéral sont placés sur des escrow accounts exclus de la liquidation en cas de faillite.
Le risque cross-border
Pour réduire les risques cross-border, les clearing houses ont établi des liens entre les différentes plates-formes de traitement afin de mieux suivre et contrôler les transactions. La mise en réseau des systèmes de paiement permet d’assurer la finalité des transactions et de faciliter la circulation de la liquidité.
Les transactions électroniques
La plupart des marchés ont mis en place des systèmes de négociation électronique (electronic trading links). Un système de remote access permet à des opérateurs situés sur une autre place de traiter en direct. Il y a interopérabilité mais non intégration : la transaction est enregistrée dans un seul organisme de compensation et réglée dans une seule banque de règlement.
Les accords de compensation
Les accords de compensation et de règlement (clearing links) font inter¬venir deux organismes : le clearing local (home exchange) qui traite l’opé¬ration et un clearing sur une autre place (away exchange) où l’opérateur initie la transaction. Le clearing de la place où se trouve l’opérateur sert de contrepartie centrale jusqu’à ce que la transaction soit transférée au clea¬ring local habilité à traiter, compenser et régler l’opération.
Les systèmes de compensation mutuelle
Dans le système de compensation mutuelle (mutual offset systems), l’opérateur choisit le clearing où il souhaite enregistrer et traiter l’opéra¬tion, soit le home exchange où sont normalement traités les ordres, soit le away exchange où l’ordre est initié. Les positions peuvent être transférées d’un clearing à l’autre à la discrétion de l’opérateur. Le système de com¬pensation retenu sert de contrepartie pour celui de ses membres destina¬taire de l’opération. Un contrat miroir assure la contrepartie avec l’autre clearing house. Les deux clearings ont donc des risques réciproques l’un sur l’autre. Les clearing houses maintiennent des comptes de correspon¬dant réciproques (comptes miroir) qui enregistrent les mêmes positions mais en sens contraire.
Le risque systémique
Le mécanisme de propagation de la crise systémique rend inopérantes les mesures internes au système. La création de liquidités complémentai¬res capables de renverser le mouvement de délitement du système ne peut venir que d’une intervention extérieure (en l’occurrence de la banque centrale). On a reproché au système de central banking (monopole d’émission et centralisation des réserves) de procurer aux établissements de crédit un sentiment de sécurité indu qui les incite à prendre des risques inconsidérés par rapport à leur base en capital. En tant que dépositaire des comptes de clearing, responsable du dénouement des opérations de paiement, utilisatrice pour la mise en œuvre de la politique monétaire, la banque centrale est directement concernée par le bon fonctionnement du système de paiement. En cas de crise grave dépassant les moyens de la communauté bancaire, l’intervention de la banque centrale devient inévitable.
Pour inciter les banques à pratiquer une politique des risques plus prudente, les banques centrales pratiquent le principe de moral hazard. La banque centrale est responsable de la supervision du système de paiement, mais elle n’a aucune obligation de secourir une banque particulière. Si les problèmes de trésorerie reflètent une mauvaise gestion, la banque centrale préférera sanctionner la gestion et donner un signal de prudence aux autres banques. Si les difficultés de trésorerie sont dues à un manque de liquidité, la banque centrale alimentera le marché pour éviter le déclenchement ou la propagation d’une crise systémique.
La finalité des paiements
Les systèmes de paiement doivent assurer la finalité des paiements – irrévocables et inconditionnels – avant la fin de la séance de compensation. La finalité des paiements peut être assurée par des ressources internes en monnaie banque commerciale (partage des risques) ou par des ressources externes (monnaie centrale). Les « Cores Principles » du Committee on Payment and Seulement Systems (CPSS) posent deux principes :
- les paiements doivent être finalisés au plus tard en fin de journée ;
- en cas d’incident, les systèmes de paiement doivent prévoir un mécanisme qui permet de couvrir la position de la banque participante qui présente le solde négatif le plus important. Les « Recommandations pour les systèmes de règlements des titres » (SSS ou Securities Seulement Systems) disposent que le règlement des titres doit se faire au moyen d’un actif ne présentant aucun risque de crédit ou de liquidité (monnaie centrale). Si la banque centrale n’est pas utilisée comme banque de règlement, des dispositions doivent assurer un règlement éliminant les risques de crédit ou de liquidité.
Vidéo : Les systèmes de paiement : Le risque de liquidité
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