Créer un environnement économique et financier favorable à l'accumulation du savoir :
On constate un décrochage des pays européens dans leur effort de recherche (mesuré par la dépense intérieure en recherche et développement – DIRD) par rapport aux Etats-Unis, même si un rattrapage semble se dessiner (voir le graphique 1 p. 22). En France, le taux de DIRD, calculé en pourcentage du PIB, a baissé au cours des années 1990.
L’une des raisons du retard de l’Europe est la relative faiblesse de l’effort de R&D dans le secteur privé : l’intensité de la recherche, c’est-à-dire la dépense de R&D ramenée au chiffre d’affaires, s’élevait en 2007 à 2,7 %, contre 4,5 % aux États-Unis. Une évolution à mettre en rapport avec celle, orientée à la baisse, du taux d’investissement global (FBCF) dans les pays européens. L’on peut également relier le manque de dynamisme de l’investissement en Europe à la faiblesse relative du taux de croissance du PIB par rapport aux États-Unis.
Les comparaisons avec les pays émergents, la Chine en particulier, sont également très parlantes : en dépit de la crise, ces pays connaissent une croissance économique forte, avec des taux d’investissement beaucoup plus importants et une progression spectaculaire de l’effort de recherche.
Comment expliquer cette situation ? L’investissement en capital fixe et immatériel (R&D) « ne se décrète pas ». Il est en grande partie déterminé par l’environnement économique et par la croissance anticipée dans le futur. L’insuffisance de l’investissement en Europe provient en grande partie du fait que l’environnement économique y a été peu porteur au cours de la dernière décennie. Des politiques économiques trop restrictives ont certainement contribué à déprimer la croissance dans l’UE. Le décrochage de l’investissement en Europe coïncide avec le durcissement des politiques monétaires à partir de la fin des années 1980. Ces dernières ont entraîné une hausse des taux d’intérêt et un ralentissement de la croissance. De même, on peut penser que la politique de régulation budgétaire menée par l’UE dans le cadre du Pacte de stabilité et de croissance (PSC) de 2005 a pesé sur les dépenses publiques en général, et sur celles consacrées à la R&D en particulier.
En second lieu, la logique du capitalisme « actionnarial » pose problème en matière d’investissement. Des économistes ont souligné le paradoxe suivant, particulièrement frappant en Europe : au moment où les entreprises accumulent des profits considérables et où le capitalisme n’a jamais été aussi prospère, celui-ci est sans projet pour l’avenir. Plutôt que d’investir dans le futur, les entreprises préfèrent redistribuer massivement leurs profits aux actionnaires. Rappelons que celles qui pratiquent les rachats d’actions les plus importants sont celles dont le taux d’investissement est le plus bas. Au total, le fonctionnement du capitalisme financier infirme le fameux « théorème de Schmidt », l’exchancelier allemand, selon lequel « les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain, et les emplois d’après-demain »…
Deux séries de mesures permettraient pourtant de stimuler l’investissement des entreprises en R&D.
– « Sanctuariser » les dépenses d’investissement publiques de R&D et d’éducation dans les budgets des États européens. Il s’agit d’exclure du Pacte de stabilité les nouvelles dépenses publiques de R&D, labellisées par une autorité européenne. Cette proposition a déjà été faite par les économistes du Conseil d’analyse économique, rattaché au Premier ministre . D’une manière générale, la régulation budgétaire devrait obéir à de nouveaux principes. Il convient de prendre en compte la nature des dépenses publiques. Une distinction, déjà proposée par Keynes, doit être faite entre le « budget de fonctionnement » de l’État, essentiellement financé par la fiscalité, et le « budget de capital », dont la principale source de financement devrait être l’emprunt. Les investissements en capital humain et cognitif (R&D et éducation) devraient être traités à part.
– Utiliser le levier fiscal pour stimuler l’investissement tourné vers la connaissance. Une fiscalité fortement différenciée sur les profits devrait être mise en place pour favoriser la rétention des profits, décourager leur distribution massive aux actionnaires, et fortement inciter à leur utilisation pour financer des investissements en R&D et en formation . Afin d’encourager le financement de la recherche par les entreprises, dont on a vu les niveaux anormalement bas en France, une fiscalité réduite sur les profits réinvestis dans la R&D serait bienvenue.
Les deux mesures précédentes ne suffiraient sans doute pas au rattrapage du retard de l’UE sur les États-Unis dans le domaine de l’investissement en R&D. Tant que les politiques économiques menées dans l’Union européenne ne créeront pas les conditions d’une croissance économique assez élevée, l’écart dans l’investissement productif, notamment en R&D, par rapport aux autres pays développés risque de persister.