Les nouvelles migrations dans l'économie du savoir :
En dépit des mesures restrictives importantes adoptées par la plupart des pays d’accueil dans un contexte géopolitique d’insécurité, les flux migratoires demeurent très dynamiques. Les migrations traditionnelles de main-d’œuvre peu qualifiée qui correspondaient aux besoins des pays du Nord tout au long de la période fordiste n’ont pas totalement disparu. Mais les logiques actuelles des migrations se sont profondément modifiées avec la montée de l’économie du savoir avide de main-d’œuvre qualifiée et hautement qualifiée.
Aujourd’hui, les pays les plus pauvres ont les taux d’émigration de travailleurs qualifiés les plus élevés, alors qu’ils comptent, en termes relatifs, le moins d’émigrés. C’est la raison pour laquelle, et contrairement à un consensus faussement établi, les pays du Nord ne reçoivent pas toute la misère du monde ni les moins qualifiés comme dans les années 1960-1970, mais bien les plus qualifiés !
Les migrations : une composante dynamique de la mondialisation
Les plus gros pourvoyeurs de main-d’œuvre, ceux qui ont les taux d’expatriation vers les pays de l’OCDE les plus élevés, sont des pays à revenus intermédiaires, tels que les pays du Maghreb ou les grands pays émergents (Chine, Inde, etc.). Quant aux pays les moins avancés, ceux d’Afrique subsaharienne par exemple, leurs taux d’expatriation globale – le rapport entre ceux qui partent et ceux qui restent – sont relativement faibles.
Le taux d’expatriation varie avec le niveau de développement. Les taux d’expatriation sont les plus bas dans les pays pauvres et atteignent un maximum pour les pays à revenu intermédiaire. Ils diminuent lorsque les pays se développent et deviennent à leur tour pays d’immigration, comme ce fut le cas récemment de l’Espagne et du Portugal.
Pour émigrer, il faut détenir à la fois des informations et de l’argent. Ceux qui partent souhaitent améliorer leur niveau de vie : la réussite de ce pari dépend de leur capacité à trouver un emploi dans le pays d’accueil. De plus, la mobilité a un coût qui englobe à la fois le coût de transport, le coût des informations indispensables au départ, le coût d’insertion dans la communauté d’accueil, les coûts psychologiques, le coût lié aux politiques plus ou moins restrictives mises en place par les pays du Nord. Ces coûts sont prohibitifs pour les migrants des pays les moins avancés.
Fuite des cerveaux accélérée :
Entre 1990 et 2000, la population immigrée qualifiée dans les pays de l’OCDE a augmenté de 50 %. Le poids croissant des qualifiés dans les migrations internationales est lié à des changements qui affectent à la fois les pays d’origine et les pays d’accueil. Dans les pays de départ, il s’agit d’un effet mécanique d’élévation du niveau d’éducation. Ces migrants sont aussi de plus en plus souvent des jeunes et – pour moitié – des femmes.
L’Asie et, dans une moindre mesure, l’Europe et l’Afrique sont les principaux continents d’origine des migrants qualifiés. Les grands pays (Chine, Inde, Brésil, Indonésie, Pakistan, Russie) n’ont qu’une proportion très limitée (généralement inférieure à 3 %) de leurs qualifiés à l’étranger, tandis que les petits, notamment dans les Caraïbes et en Afrique, font face à des taux d’émigration de leurs élites parfois très importants, supérieurs à 30 % et parfois à 70 %. Il s’agit d’une véritable fuite des cerveaux. Certaines professions connaissent une hémorragie. Ainsi, treize pays africains où la pénurie en professionnels de la santé est dramatique ont des taux d’expatriation des médecins et autres professionnels du secteur de près de 50%. Il se révèle donc très important de tenir compte de la diversité des pays de départ en matière d’émigration de qualifiés.
La fin du modèle fordiste d’immigration :
Durant les Trente Glorieuses, l’immigration de travail était directement organisée par les gouvernements des pays d’accueil. Elle répondait aux besoins de main-d’œuvre des secteurs moteurs du fordisme. Comme le montre pour la France le film de Yamina Benguigui Mémoires d’immigrés les sergents recruteurs du bâtiment, de l’automobile, des mines, du textile, etc. se rendaient dans les anciennes colonies, de village en village, pour chercher des hommes, des jeunes, sélectionnés essentiellement pour leur force physique. Ces travailleurs ne cherchaient pas à s’installer définitivement dans les pays d’accueil et transféraient à leur famille la majeure partie de leur salaire. La crise des années 1970 et l’envolée du chômage ont servi de prétextes aux pays européens pour mettre en place des politiques de fermeture des frontières à l’immigration de travail. Ce fut le cas en France en 1974.
Avec l’essoufflement du modèle fordiste et les changements structurels des économies développées, les facteurs d’appel des travailleurs émigrés dans les pays d’accueil se sont profondément modifiés. Certes, certains secteurs comme l’agriculture, le textile, la restauration, etc. restent demandeurs d’une main-d’œuvre non qualifiée. D’où la subsistance de filières clandestines qui organisent ces migrations. Mais les migrants les plus autonomes tendent à s’organiser eux-mêmes. Il s’agit le plus souvent de personnes qualifiées, aptes à passer les frontières.
La perception de cette réalité est en partie brouillée par le déclassement. Des enquêtes sociologiques ont montré par exemple que 60 % des réfugiés qui affluaient au centre de Sangatte, dans le Pas-de-Calais, possédaient un diplôme de l’enseignement supérieur. Mais le fait que ces migrants ne parlent pas français et leur statut de clandestins les assimilent de facto à des non-qualifiés. De même, de nombreux diplômés d’Europe centrale et orientale émigrent vers le Portugal, l’Espagne ou la
Grèce, où ils occupent des emplois peu qualifiés dans la restauration, les services, le bâtiment, etc. Ils espèrent ainsi obtenir un passeport de mobilité pour se déplacer ensuite dans l’Union européenne et tenter de trouver un emploi en adéquation avec leur diplôme dans les grands pays d’accueil que sont l’Allemagne, la France ou le Royaume-Uni .