L'organisation des banques : une double logique, cognitive et taylorienne
Parallèlement à leurs politiques d’externalisation et de délocalisation, les groupes bancaires ont transformé en profondeur leur organisation, selon une double logique taylorienne et cognitive, un processus voisin de celui observé dans les autres secteurs économiques. Le contenu des métiers bancaires a changé, requérant généralement un niveau de qualification et de compétence plus élevé qu’auparavant. Les métiers se sont multipliés- ils sont au nombre de soixante selon la Fédération bancaire française -, pour répondre aux nouvelles exigences commerciales, financières, juridiques, fiscales, techniques, informatiques, etc.
L’organisation des fonctions et du travail a été très largement transformée. Les banques sont devenues des groupes multispécialisés, de nature conglomérale, et développent des activités très différentes, ce qui se répercute sur les formes d’organisation n. Il faut distinguer, à ce sujet, la banque de détail ou de réseau (retail banking), la banque de gestion d’actifs (asset management) et la banque d’investissement (investment banking), aussi dénommée banque de financement et d’investissement (BFI). Ces trois fonctions requièrent des compétences et des formes d’organisation très différentes.
Pour la banque d’investissement, dont les principales fonctions sont le conseil en fusions-acquisitions, les financements structurés, les financements de projets, le capital-risque et le négoce international, des compétences spécifiques et de haut niveau sont requises. Des outils mathématiques et informatiques complexes sont utilisés. Les personnels sont recrutés à des niveaux bac + 5 dans des écoles d’ingénieurs et de commerce, des masters universitaires.
La situation apparaît très différente dans la banque de détails qui constitue la partie la plus importante des groupes bancaires en termes d’emploi, de chiffre d’affaires et de résultat. On y retrouve la double logique cognitive et taylorienne. D’un côté, en effet, les cadres supérieurs (responsables de départements) ont d’importantes responsabilités et des compétences de haut niveau. Mais, d’un autre côté, la majorité des emplois commerciaux (chargés de clientèle), techniques, informatiques, etc. font l’objet d’une organisation de type « taylorien flexible », avec un découpage des tâches et des métiers entre trois niveaux : front, middle et back offices.
Ce découpage organisationnel en trois blocs s’apparente à la fragmentation de la production observée dans les firmes industrielles. Le front office, essentiellement les commerciaux, est chargé des relations avec la clientèle, tandis que les middle et back offices sont chargés des tâches techniques et de contrôle pour partie routinières. Cette parcellisation correspond à une industrialisation de la production bancaire. Elle se traduit par un appauvrissement des tâches, réalisées sous la contrainte de rentabilité à court terme, ce qui pourrait se révéler contre-productif à long terme.
Les back offices sont de plus en plus regroupés sur des plateformes spécialisées au sein des directions CRM (customer relationship management) afin de maîtriser les charges (économies d’échelle). Autrefois, chaque agence bancaire était couplée à un back office. Aujourd’hui, un seul back office travaille pour un ensemble parfois important d’agences décentralisées. Le personnel des back offices est recruté au niveau bac ou bac + 2, tandis que les personnels des front offices – par exemple, dans les salles de marché – sont souvent de niveau bac + 5 et diplômés des grandes écoles. Les écarts de rémunération entre ces différents métiers sont très importants. Ainsi, il n’est pas rare que les bonus reçus par les traders, ces « travailleurs riches », dépassent le million d’euros, et parfois beaucoup plus, les bonnes années…
Au total, tant dans l’industrie manufacturière que dans les industries financières et bancaires, pourtant très différentes, les similitudes dans la combinaison des logiques taylorienne et cognitive sont manifestes. Loin de se traduire par une dispersion tous azimuts des activités dans un vaste réseau mondial, les activités tendent à se concentrer dans les grandes agglomérations des pays riches, mais aussi à se délocaliser de manière sélective vers des zones périphériques alliant des coûts salariaux limités et des infrastructures efficientes.