La finance au service de l'économie du savoir et de l'immatériel pose des problèmes spécifiques :
L’émergence d’une économie fondée sur le savoir pose des problèmes nouveaux, créant le besoin de nouvelles formes de régulation, ou de gouvernance, et rend inadaptées les institutions du capitalisme fordiste des Trente Glorieuses. Pour fonctionner, le capitalisme contemporain a besoin de transformer le savoir en bien marchand, ce qui soulève des questions liées aux caractéristiques très particulières de la connaissance.
Quelle est la valeur marchande de la connaissance ?
Rappelons qu’en tant que bien économique la connaissance a des propriétés spécifiques bien connues, notamment par comparaison avec les biens tangibles. Elle est un bien public en raison de deux qualités remarquables : sa non-rivalité et sa non-exclusivité. La première vient de ce que son usage par une personne n’empêche pas l’utilisation du même savoir par quelqu’un d’autre. La seconde signifie que chacun peut faire usage librement d’un savoir relevant du domaine public. Le fait qu’il s’agisse d’un bien public confère à la connaissance une valeur d’usage, mais sa valeur d’échange est indéterminée, au sens où le marché n’est pas en mesure d’en fixer le prix. D’où une première contradiction interne de ce nouveau capitalisme : d’un côté, la connaissance en est la principale source de valeur (au sens de richesse) mais, d’un autre côté, le marché ne peut spontanément en mesurer la valeur d’échange. L’économie de la connaissance se heurte donc à un problème de valorisation marchande
La délicate question de l’appropriation :
Le capitalisme doit affronter une seconde contradiction fondamentale. Pour fonctionner, les entreprises privées ont besoin de s’approprier la connaissance, afin que son utilisation devienne leur propriété exclusive, au même titre que les autres ressources productives. C’est dans ce but que la théorie économique traditionnelle a forgé la notion de capital humain, ayant les caractéristiques du capital productif et supposé cristalliser l’ensemble des capacités humaines.
Or, en tant que bien public, d’une part, et actif incorporé à la personne, d’autre part, la connaissance ne peut faire l’objet d’une appropriation privée que dans d’étroites limites. Seules les ressources cognitives identifiées comme séparables, donnant lieu à des contrats spécifiques et à des règles juridiques particulières (en particulier les brevets), devraient en principe pouvoir faire l’objet d’une appropriation privée par l’entreprise et par les détenteurs du capital financier. Lorsqu’une entreprise met au point un nouveau procédé de fabrication, c’est en brevetant celui-ci qu’elle peut s’approprier les gains financiers qui en résultent. Mais, dans la réalité, seule une fraction des ressources cognitives mobilisées par le processus productif a les propriétés susmentionnées. L’économie du savoir se trouve ainsi devant une seconde difficulté de taille, dans le système capitaliste, celle d’assurer aux entreprises le contrôle de la connaissance.
Maîtriser le risque et l’incertitude entourant les investissements immatériels :
L’innovation est l’une des forces motrices du capitalisme, comme l’a bien montré l’économiste autrichien Joseph Schumpeter , pionnier de la théorie de l’innovation. La créativité, les forces de l’invention et de l’innovation sont les principales sources du changement et de la création de richesse. C’est particulièrement vrai dans l’économie de la connaissance où la réussite des entreprises dépend d’abord de leur capacité à innover et à développer des compétences spécifiques. L’avantage concurrentiel des entreprises est également lié à leur capacité d’apprentissage, à l’interface avec les clients, à l’image de marque. C’est-à-dire à un ensemble complexe d’actifs immatériels qui constituent le capital immatériel ou intangible de l’entreprise. Les investissements immatériels sont devenus stratégiques dans leurs quatre dimensions principales : la formation, la publicité, la recherche-développement (R&D), la réalisation et l’acquisition de logiciels.
Ces investissements ont, en raison de leurs caractéristiques, un rendement incertain.
En premier lieu, ils sont irrécupérables, au sens où il n’existe généralement pas de marché de l’occasion pour les actifs immatériels : les investissements concernant la publicité ou les logiciels sont propres à une entreprise et ne peuvent donc être revendus. Autrement dit, les investissements immatériels sont le plus souvent des dépenses dédiées à un produit, ou plus généralement à un actif donné, qui ne pourront être réutilisées de manière efficace sur d’autres projets. L’industrie cinématographique illustre ce cas : les décors, les cachets des acteurs, les frais de promotion sont spécifiques à un film donné, et ne pourront être utilisés pour une autre production. Le risque est maximal, dans la mesure où l’échec commercial du film entraîne la perte pure et simple du capital engagé. Ce type d’investissement repose sur des engagements « à fonds perdus », au rendement très incertain. Il y a donc dans la production de biens fondés sur la connaissance, par exemple dans les secteurs culturels et de la mode, une incertitude fondamentale très différente de celle rencontrée dans les activités traditionnelles, telle que celle liée aux aléas météorologiques dans l’industrie du bâtiment ou dans l’agriculture.
Une seconde caractéristique du capital immatériel est son coût de reproduction négligeable, ce qui engendre un « effet de levier ». Cette propriété provient de ce que les investissements immatériels correspondent généralement à des coûts fixes – c’est-à-dire que leur montant ne varie pas avec la quantité produite et que le coût marginal est proche de zéro. Le coût de revient ne dépend que du coût de distribution. Le prix de chaque unité supplémentaire vendue représente donc un profit net. L’exemple de Microsoft illustre ce phénomène : la mise au point du nouveau logiciel de bureautique Vista par les ingénieurs de la firme de Bill Gates a coûté plusieurs milliards de dollars, mais sa reproduction et sa diffusion ne coûtent que le prix de son support. Il y a donc, dans ce cas, un « effet de levier » considérable en cas de réussite. D’autant qu’il n’y a pas de limite physique à leur reproduction, car les équipements et matériaux nécessaires ont peu de chances d’être saturés. L’offre dépend exclusivement de la force de vente, d’où l’importance stratégique prise par le marketing.
Finalement, les investissements immatériels obéissent à une logique du « tout ou rien ». En cas d’échec, ils sont intégralement perdus, car irrécupérables ; en cas de réussite, les profits peuvent être considérables grâce à un effet de levier important. L’un des défis majeurs auxquels sont confrontées les entreprises dans l’économie de la connaissance et de l’immatériel reste de trouver des financements pour ces investissements au rendement potentiel élevé mais incertain.