La finance au cœur de l'économie du savoir
Pourquoi la finance s’est-elle installée au cœur du capitalisme contemporain ? Peu d’économistes ont tenté de répondre à cette question. Ils ont plutôt étudié les effets de la finance sur le fonctionnement de l’économie, en privilégiant la relation causale finance économie. La finance est surtout considérée du point de vue de ses conséquences sur les transformations et les dérives du capitalisme. Or il est nécessaire d’articuler le processus de financiarisation avec les transformations du système productif. On ne peut ignorer la relation causale économie du savoir – nouvelles formes de la finance. En effet, historiquement, la finance ne s’est pas développée après les activités productives et marchandes, mais les a accompagnées. Dans la période contemporaine, l’émergence de l’économie du savoir a été un processus économique antérieur à la globalisation financière et, au départ, distinct de celle-ci.
Ainsi, les mutations récentes du capitalisme et sa financiarisation sont une réponse aux besoins de l’économie du savoir. Au départ, l’accélération du processus de globalisation financière, à partir des années 1970, est liée à des choix politiques, en particulier la libéralisation financière menée dans la plupart des pays de l’OCDE. Mais, par la suite, la place centrale occupée par la finance dans nos économies s’explique par le fait que celle-ci « fait système » avec l’économie du savoir.
En d’autres termes, la financiarisation du capitalisme est endogène aux transformations du système productif. L’essor des principales institutions du capitalisme contemporain – en particulier, la Bourse, l’entreprise dominée par la logique actionnariale et les droits de propriété intellectuelle – est celui d’instruments au service d’un système économique fondé sur les connaissances. Nous montrerons plus loin que la Bourse est vouée à l’évaluation des actifs immatériels, et que l’entreprise actionnariale ainsi que les droits de propriété intellectuelle sont organisés de manière à assurer la captation de la richesse créée par l’exploitation intensive des connaissances au profit des détenteurs du capital financier.
Il faut cependant souligner que les relations entre la finance et l’économie sont complexes et ambivalentes. D’une part, les institutions du capitalisme postfordiste répondent aux besoins particuliers des économies fondées sur le savoir et les nouvelles technologies. Sans les marchés financiers, la révolution Internet n’aurait peut-être pas eu lieu. Mais, d’autre part, les aspects pervers de la finance – liés à son caractère prédateur, instable et court-termiste – constituent autant d’obstacles à l’épanouissement de l’économie de la connaissance. L’extrême polarisation des savoirs et des richesses dans le monde en est l’illustration.