Fragmentation simultanée des activités
Parallèlement à sa concentration, l’industrie des services financiers a enregistré un processus de fragmentation de sa chaîne d’activités. Une dispersion géographique des différentes étapes de production décidée par les groupes financiers (ou industriels) pour profiter des écarts de coûts entre les différents sites. Cette fragmentation peut également se traduire par une externalisation des activités auxiliaires, selon une logique industrielle, ou par la constitution de centres financiers locaux spécialisés obéissant plutôt à une logique réglementaire ou fiscale (paradis fiscaux).
Cette fragmentation est similaire, dans son principe, à celle observée dans les autres industries. Mais elle a été plus tardive pour les institutions financières qui avaient initialement préféré garder le contrôle de l’ensemble de leur chaîne de production, pour des raisons de sécurité essentiellement. À partir des années 1980, la libéralisation financière et le plus haut degré de sécurité offert par les nouvelles technologies ont créé les conditions de politiques actives de fragmentation des activités qui ont entraîné une désintégration verticale des groupes bancaires.
Les centres financiers « offshore » :
D’un genre particulier, de taille très inégale et dispersés sur la planète, les centres financiers offshore sont nés de la volonté d’échapper aux contraintes fiscales et réglementaires imposées par les États. Les institutions financières se sont en effet rendu compte que leurs activités pouvaient être effectuées à partir de n’importe quel point géographique, ce qui leur permet d’arbitrer entre les différents systèmes réglementaires et fiscaux.
Les centres financiers offshore sont nombreux (une centaine) et de nature très différente. Certains pays ont ainsi décidé d’accorder des avantages en matière fiscale et réglementaire aux banques étrangères pour les attirer. En finance, le qualificatif « offshore » fait référence à toutes les activités se déroulant en dehors du champ de la réglementation nationale. Ainsi la City de Londres et le Luxembourg peuvent-ils être considérés comme les plus grands centres offshore, c’est-à-dire des paradis fiscaux. Le FMI donne une définition plus restrictive des centres offshore, considérés comme des systèmes financiers dont les banques ont des créances et des engagements externes qui sont hors de proportion par rapport aux transactions courantes de leur économie domestique. Cette définition s’applique aux nombreux centres installés à Hong Kong, dans les Antilles, les îles Anglo-Normandes, etc.
L’un des facteurs qui ont le plus contribué au développement de ces centres bancaires est une innovation financière majeure, qui a aussi largement alimenté la globalisation financière : le marché des eurodevises, c’est-à-dire des monnaies traitées en dehors de leur pays d’émission. La City est la principale place financière pour le traitement des eurodevises, essentiellement l’eurodollar.
Les politiques de désintégration verticale des banques :
Dans le passé, les banques poursuivaient des stratégies souvent différentes de celles des entreprises industrielles.
Jusqu’à une période récente, leur organisation interne était conçue pour prendre en charge l’ensemble de leurs opérations. Aujourd’hui, à l’instar des entreprises industrielles, les banques n’hésitent plus à externaliser certaines parties de leur chaîne de production en les confiant à la sous-traitance (out-sourcing), éventuellement à l’étranger (offshoring). La banque a été l’un des secteurs où le taux de croissance du volume des activités externalisées a été le plus élevé, de l’ordre de 15 % par an de 2001 à 2005 .
Deux facteurs expliquent ce mouvement accéléré d’externalisation dans le secteur bancaire. D’une part, les banques étaient fortement intégrées verticalement ; l’externalisation s’inscrit ainsi dans le cadre de stratégies de désintégration, correspondant notamment à la volonté de « se recentrer sur leur cœur de métier ». D’autre part, la nature même des métiers de la banque amène celle-ci à traiter un grand nombre d’informations et, de ce fait, à supporter d’importantes dépenses en matière de TIC.
L’externalisation a pour principal objectif de réduire les coûts en confiant certaines opérations à des sous-traitants. La plupart des fonctions des banques, y compris les fonctions stratégiques, sont aujourd’hui concernées par les politiques d’externalisation. C’est le cas notamment du traitement des moyens de paiement et des activités de back-office entendues au sens large, c’est-à-dire les opérations qui ne demandent pas de relations proches avec la clientèle ou avec les autres institutions financières, et dont les informations pertinentes peuvent être codifiées pour être transmises instantanément aux responsables des grands centres.
L’on doit s’attendre à ce que soient également externalisées à l’avenir des activités relatives à la gestion d’actifs, l’analyse financière, la comptabilité, les questions juridiques et la gestion des ressources humaines. Dans le prolongement de leurs politiques d’externalisation, et à l’instar de ce qui est observé dans l’industrie, les entreprises bancaires et financières mettent également en oeuvre des opérations de délocalisation. Ainsi, un grand nombre d’entreprises ont décidé de délocaliser en Inde une partie de leurs activités informatiques. En théorie, les activités qui ne nécessitent pas de contact direct avec la clientèle sont devenues des cibles potentielles de délocalisation.
Ces politiques ont cependant des inconvénients pour les banques, ce qui devrait en limiter l’ampleur. D’une part, il existe un risque de perte potentielle de savoir-faire et de compétences. D’autre part, un accroissement des risques opérationnels liés à la défaillance des procédures, personnes ou systèmes internes est à craindre. L’accent mis sur la couverture des risques opérationnels par les nouvelles normes prudentielles, dites Bâle, mises en œuvre à partir de 2008 dans l’Union européenne, pourrait à cet égard contribuer à limiter l’ampleur des délocalisations bancaires.