Le rôle clé du marché et de la finance dans l'économie de la connaissance
Deux sphères de production de la connaissance doivent être différenciées : celle de la connaissance désintéressée incorporée dans l’intelligence de tout individu et celle de la connaissance marchandisée (tableau 3), médiatisée par la finance. L’accumulation de connaissances dans la sphère 1 restera sans existence économique durable tant que le marché n’en aura pas capté une partie pour la production capitaliste. La sphère 2 promeut une organisation sociale et technique du savoir en vue de transformer celui-ci en nouvelles connaissances appropriables et marchandisables. Dans l’économie capitaliste, la connaissance ne peut être qu’appropriable ou « marchandisage » pour exister (sphère 2).
Cette sanction de la mise en œuvre par le marché passe le plus souvent par la finance. C’est cette dernière qui permet la marchandisation. En effet, le marché est souvent inefficace lorsqu’il s’agit d’évaluer les risques liés à l’investissement dans la connaissance, la recherche-développement, dont la caractéristique essentielle est d’être radicalement incertaine. Le marché n’est pas non plus capable de donner une valeur à l’activité de production de connaissance. C’est pourquoi la finance remplit ce rôle en endossant les risques liés à ces activités.
Mais les actionnaires, les business angels qui financent les start-up, par exemple, ne peuvent s’engager dans ces opérations incertaines que si, sur le plan institutionnel, ils obtiennent des garanties de retour sur investissement. Les droits de propriété intellectuelle et la prolifération des brevets sont à même d’offrir ces garanties de création de valeur pour l’entreprise et pour l’actionnaire. Finance et droits de propriété intellectuelle constituent bel et bien les deux mamelles institutionnelles de l’économie de la connaissance. Ainsi, les actifs immatériels représentent de 75 % à 90 % de la capitalisation boursière des grandes entreprises cotées, voire plus de CK) % dans le cas d’entreprises telles que Microsoft et Amazon. On a donc bien une relation triangulaire entre connaissance, marché et finance.
La « marchandisation » consiste alors à transformer une partie des savoirs acquis par l’intelligence humaine en compétences ou qualifications répertoriées et rémunérées. Dans la sphère 2, la connaissance est appropriable, codifiable, utilisable, brevetable, marchandisable… à la différence de la connaissance désintéressée de la sphère 1 qui reste à l’état de pure activité cognitive. L’économie de la connaissance, par l’intermédiaire de la finance de marché, est ce qui permet de rendre rentable et appropriable le processus de mise en œuvre du savoir dans des rapports sociaux.
Le logiciel libre illustre ce qu’est la démarche humaine et intellectuelle de la production du savoir dans la sphère 1 : « Le développeur n’est mû par rien d’autre que le désir de communiquer, d’agir ensemble, de se socialiser et de se différencier non par l’échange de services mais par des relations sympathiques. Ce type de savoir produit n’a pas de valeur d’échange mais seulement de la valeur d’usage ; il relève de la distraction et de la créativité individuelle qui est au centre du travail. » L’on pourrait ajouter que les sites gratuits tels que Facebook, considérés comme l’exemple même de l’activité libre et gratuite, ne peuvent en réalité exister et se développer que dans leur connexion étroite au marché et à la finance. Nombreux sont les exemples de gratuité apparente dans le domaine de l’immatériel.